Emilio Sanchez: « La nomination de Gala Leon a fait l’effet d’une bombe » »


Rien ne va plus en Espagne. Après avoir été rétrogradée en seconde division et perdu son capitaine Carlos Moya, l’équipe nationale de Coupe Davis doit aujourd’hui accepter la nomination de Gala Leon (ex 27ème joueuse WTA) en tant que ramplaçante de l’ex-numéro 1 mondial. Une nouvelle qui continue encore aujourd’hui de déferler la chronique. Pour mieux comprendre la situation, Tennis Trotteur a fait appel à Emilio Sanchez Vicario, ancien n°7 mondial et ex-capitaine de Coupe Davis (vainqueur en 2008 lors de son capitanat).

leon_rtve

Comment avez-vous vécu la défaite de l’Espagne contre le Brésil et la relégation en seconde division ?

J’ai tout vu à postériori car ils ne retransmettaient pas les matchs aux Etats-Unis (où il dirige une académie) mais cela m’a fait beaucoup de peine… Quelques fois, les choses se compliquent subitement et je pense que c’est ce qu’il s’est passé. Ceux qui voulaient être là étaient blessés, les autres n’ont pas voulu jouer. Au final, tout a reposé sur les épaules de joueurs qui n’avaient peu ou pas d’expérience en Coupe Davis et encore beaucoup à apprendre. La loi du sport est parfois cruelle. C’est pour cela que cela fait si mal. L’équipe est allée au Brésil sans ses meilleurs atouts et sans ceux qui ont hésité puis ne se sont finalement pas laissés convaincre… Je pense qu’il faut simplement féliciter les joueurs qui ont répondu présent.

Carlos Moya n’a pas souhaité continuer à la tête de l’équipe après cette défaite. Comprenez-vous sa decision?

A moitié. Je sais qu’il y a mis beaucoup d’espoirs et d’envie et entre les changements de génération, une combinaison d’éléments défavorables et des résultats qui n’arrivent pas, la tâche devient vite compliquée. Sans connaître tous les détails, cela me surprend quand même qu’il n’ait pas voulu continuer un an de plus car selon moi, les challenges et les difficultés devraient être une source de motivation supplémentaire en plus d’une bonne chance de montrer qu’il est capable de ramener l’Espagne au plus haut niveau. Mais je comprends tout à fait que cela ne lui suffise pas car l’ampleur de la tâche est désormais beaucoup plus importante.

moya_portalrackets

Comme Carlos Moya, vous avez également été capitaine de Coupe Davis (2005 à 2008). Quelle aurait été votre réaction dans une situation comparable à celle-ci?

C’est difficile à dire. Etre capitaine reste un poste compliqué. Quand on a investi toute son énergie pour atteindre un objectif, c’est extrêmement décourageant de voir que le travail effectué n’a servi à rien pour convaincre les joueurs. Mes débuts de capitaine n’ont pas non plus été rose. Je me souviens que ni Carlos Moya ni Juan Carlos Ferrero (tous deux ex-numéros 1) ne voulaient venir. J’avais dû former une nouvelle équipe plus jeune et attendre que les joueurs mûrissent. Au final, cette option était la bonne, j’ai pris ça comme une opportunité.

La nomination de Gala Leon à la tête de l’équipe a beaucoup fait parler. Comment jugez-vous son arrivée à ce poste?

L’annonce a fait l’effet d’une bombe nucléaire. Soit la décision a été mûrement réfléchie soit pas du tout. Ca dépend de quel côté on se place. Pour moi, il n’y a pas que l’avenir de l’équipe qui est en jeu. Le plus important reste l’avenir du tennis espagnol. Elle est maintenant à la tête de toute la machinerie du tennis du pays: responsable des Jeux olympiques, des jeunes, des centres d’entraînement…

Est-elle légitime ? Beaucoup auraient préféré voir une ancienne gloire du tennis masculin à ce poste. On attendait notamment Juan Carlos Ferrero…

Je ne peux pas dire grand chose. Il faudrait demander au président d’étayer les arguments qui ont fait pencher la balance en faveur de Gala. Lui seul connaît les vraies raisons. S’il pense que tout l’avenir de tennis national doit reposer sur le travail d’une seule et même personne, c’est qu’il y a réfléchi. Avoir à la fois les casquettes de capitaine et directrice sportive représente un travail énorme mais c’est aussi une nouvelle façon de voir les choses. L’autre serait de revenir à une forme plus traditionnelle et d’avoir un capitaine d’un côté et un directeur sportif de l’autre. On verra comment ce changement influencera l’avenir. En ce qui me concerne, je n’ai été que capitaine mais je pense qu’il est bénéfique de donner toutes les responsabilités à la même personne.

Gala va malgré tout débuter avec un gros handicap. Elle va devoir convaincre beaucoup de gens avant de pouvoir commencer à travailler. Si elle a les compétences nécessaires, je ne vois pas pourquoi elle n’y arriverait pas. Réussir ce défi dépend de la volonté et de l’énergie qu’on y met. Il faut être à 100% et encore, parfois, cela ne suffit pas. Il faut savoir rester cohérent dans ses choix, être présent, et surtout, il faut vivre le moment pour toujours y croire. Pour tout ça, il n’est pas nécessaire d’être une légende.

En tant que directrice sportive, Gala Léon avait pour mission de trouver un nouveau capitaine. Sa propre nomination ne sonne-t-elle pas comme un aveu d’impuissance de la part de la fédération?

Un aveu d’impuissance ? Je pense plutôt que c’est un grand coup de la part de la Fédération. Si elle arrive à gérer les difficultés qui vont se présenter, Gala a devant elle une superbe opportunité. Elle n’a rien à perdre.

Une belle opportunité qui n’est pas du goût de tout le monde. Toni Nadal a été durement critiqué après avoir suggéré que la présence d’une femme dans les vestiaires n’était pas appropriée. Il a également appuyé le fait qu’elle ne connaît pas les joueurs. Etrange pour une directrice technique, non?

Ce qu’a dit Toni est naturel. Elle vient d’arriver et n’a aucune expérience du tennis masculin. Mais elle a pratiquement un an pour faire ses armes et cela joue en sa faveur. Cela lui donne du temps pour connaître les joueurs. J’imagine que les critiques sont plus dirigées vers le président qui n’a pas consulté les joueurs avant de prendre une décision. Quand un joueur est numéro 1 de l’équipe, il est logique qu’il soit aux courant des décisions qui sont prises et qu’il ait son mot à dire. Il faudrait peut être comprendre ce qu’il s’est passé entre les deux clans pour que le dialogue soit rompu, surtout quand il s’agit d’une décision aussi importante qui va influencer l’avenir du tennis national.

Spain's Davis Cup members Sanchez Vicario and Nadal talk before the draw for their semi-final in Madrid

Pour en revenir à Gala, l’idée qu’une femme dirige le tennis espagnol me paraît très innovante, c’est un très grand challenge pour elle. Le tennis féminin a toujours été pionnier en matière d’égalité, tant sur les prize money que sur les conditions de jeu. Il ne manquait plus que de franchir une nouvelle étape en donnant de nouvelles responsabilités aux femmes, chose qu’Andy Murray a très bien fait en demandant Amélie Mauresmo de devenir son coach. L’Espagne suit maintenant le même chemin. Ces décisions sont fondamentales pour montrer au monde entier que le fait d’être un homme ou une femme importe peu du moment que la personne possède les qualités requises pour bien faire son travail. L’avenir nous dira si Gala les a, et j’espère sincèrement que ce sera le cas. J’aimerais qu’elle réussisse.

Ce pseudo débat sexiste ne cacherait-il pas en réalité des problèmes bien plus profonds au sein de la fédération ?

Il y a beaucoup de pressions. Avant, le Président prenait des décisions en ayant concerté les joueurs. Il occupe son poste depuis bien longtemps, a fait des promesses et s’est vu promettre beaucoup de choses. Le résultat n’est pas très favorable. Le problème aujourd’hui est que la fédération n’est qu’un petit microcosme qui reste opposé à de puissants groupes qui n’hésitent pas l’affronter sur plusieurs fronts: les sponsors, tournois, la Coupe Davis… Au final; Il ne reste pas beaucoup de part du gâteau à répartir. Il est très difficile de prendre des décisions dans ces conditions.

Pourquoi ne pas prêter plus d’attention à l’avis des joueurs ?

Les objectifs de la Fédération sont ce qu’ils sont, et très souvent, ils sont assez flous. J’aurais d’ailleurs aimé qu’on pose la même question au Président (José Lui Escañuela) et qu’il soit sincère en avouant si oui ou non, il est réellement confronté à ces groupes et pour quelles raisons. Son travail devrait consister à tous nous réunir, nous regrouper pour prendre les meilleures décisions concernant l’avenir du tennis nationnal. A l’heure actuelle, il a déjà pris sa décision. Gala peut rompre les conventions et écrire un nouveau chapitre si elle fait bien son travail. Mais les résultats ne se feront pas sentir avant quelques années. En attendant, nous nous devons d’apporter notre soutien. Le futur du tennis est en jeu. Peut-être que tout cela est effectivement la conséquence d’un problème bien plus profond que de savoir qui est le capitaine de l’équipe. Il est certainement temps d’analyser en profondeur la raison pour laquelle les joueurs ne désirent plus participer à la Coupe Davis même s’ils ne sont pas loin de la fin de leur carrière. La Fédération devrait trouver des solutions, faire participer la Fédération Internationale qui elle-même devrait apporter une analyse profonde et trouver des moyens, notamment économiques, pour que les joueurs s’investissent beaucoup plus dans la compétition. Mais cela fait partie d’un autre débat tout aussi intéressant…

Pensez-vous que la Fédération essaie de gagner du temps en attendant de nommer un autre capitaine ?

Non. Je pense que c’est une décision définitive. Pourquoi présenter quelqu’un maintenant s’il n’y a aucun match jusqu’en juillet 2015? Si ce n’était pas définitif, cela n’aurait aucun sens. Créer tout ce tapage pour gagner du temps serait machiavélique. Je crois plutôt que cette décision a été prise pour montrer aux différents groupes qui veulent diriger que ces décisions ne leur appartiennent pas et que le joueur est libre de choisir par lui-même s’il veut participer ou non à une rencontre. Ce genre de situation peut toujours empirer et causer davantage de dégâts. Les joueurs ont chacun de de nombreux sponsors et s’ils viennent à en perdre, de nouveaux problèmes surviendront.

Au problème de capitanat s’ajoute celui de la relève. Nadal, Verdasco, Lopez, Ferrer… Tous ont donné beaucoup pour apporter à l’Espagne le Saladier d’argent. Aujourd’hui, les jeunes semblent bouder la compétition. Avez-vous une idée de la raison de ce changement ?

Je ne pense pas que ce soit vraiment le cas. Les jeunes veulent jouer la Coupe Davis mais il faut leur apprendre à le faire. Ils sont encore en formation et doivent apprendre à gagner dans ce genre de compétition. Au Brésil, cela s’est joué de peu. Ils n’ont pas eu de chance. Les jeunes joueront toujours la Coupe Davis.

Comment imaginez-vous le futur de cette équipe?

A court terme, pas très bon. La seconde division est presque aussi difficile que la première. Et si les piliers ne reviennent pas dans l’équipe, il faudra continuer à apprendre. On verra combien de temps les jeunes mettront pour gagner en maturité, mais je suis certain qu’ils y arriveront. Il faudra juste être patient.

L’Espagne peut-elle revenir au plus haut niveau?

emilio

L’Espagne retrouvera son rang lorsque les meilleurs joueurs nationaux du moment réintègreront l’équipe, ou quand les jeunes se seront améliorés. Pour être compétitif lors de la Coupe Davis, il faut au moins avoir un top 10, un Top 20 et un excellent double. Si il n’y a rien de tout cela, comme ce qui nous est arrivé cette année avec un top 20, un top 45 et un nouveau double, alors l’équipe devient vulnérable. Et si en plus, cela se passe à l’extérieur, face à deux membres du Top 5 en double qui jouent ensemble depuis dix ans, face à Bellucci qui joue comme un joueur du top 20, la défaite est toujours envisageable. Mais il ne faut pas dramatiser. Il suffit de regarder Federer, qui avant, décidait de jouer la Coupe Davis tous les 36 du mois et qui a finalement décidé cette année d’en faire un de ses objectifs principaux. Il amène la Suisse en finale, avec deux top 5. La même chose s’est produit pour la France qui compte un joueur du Top 10 et deux du Top 20. La Coupe Davis est une compétition incroyable. Ceux qui n’y participent pas se mordront un jour les doigts de ne pas avoir répondu présent. Moi-même, je m’en veux encore aujourd’hui d’avoir fait l’impasse sur la compétition pendant deux ans par simple fierté. La relégation en deuxième division était le pire scénario qui puisse se produire. Mais revenir au premier plan sera une immense victoire pour ceux qui y parviendront, surtout si ce sont des jeunes.

&

Interview: Charlotte Ezdra et Adeline Auger

A consulter aussi: L’Espagne, droit dans le mur ?

Suivre