Stakhovsky: « Je ne voudrais en aucun cas rencontrer Poutine »


Alors que la violence redouble en Ukraine face à la progression des pro-russes, à des kilomètres de cela, l’entente entre les deux pays semble pourtant possible. Preuve en est avec Sergiy Stakhovsky et Mikhail Youzhny qui n’hésitent pas à s’entraîner ensemble et partager le même coach. Mais comment vit-on au jour le jour un telle situation lorsqu’on est joueur de tennis professionnel? Sergiy Stakhovsky en dit plus à Tennis Trotteur.

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Tennis Trotteur: En tant que citoyen ukrainien, quel regard portez-vous sur la situation actuelle de votre pays ?
Sergiy Stakhovsky: C’est un jeu très dangereux auquel est en train de se livrer la Russie sur le territoire Ukrainien. La télévision et les médias russes font croire aux téléspectateurs qu’il y a un certain nombre de fascistes à Kiev qui exterminent tous ceux qui parlent anglais. Il est vrai que la télévision ukrainienne n’a jamais vraiment été très populaire et que nous avons l’habitude de regarder la télévision russe mais la propagande réalisée par la Russie est surréaliste. Beaucoup de gens ont malheureusement tendance à croire les médias russes. Personne n’a une vision claire de la réalité des choses.

T.T: N’est-ce pas difficile pour vous d’être loin de vos proches dans un moment aussi compliqué ?
S.S: Ma famille vit à Kiev où la situation est plutôt calme. Tout le monde s’efforce de travailler dur pour construire une Ukraine meilleure. J’ai le sentiment d’être assez distant par rapport à tout ça mais d’un autre côté, le fait que je sois dans mon pays en ce moment ne changerait pas grand chose.

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T.T: Vous vous êtes longuement entraîné avec Mikhail Youznhy à Monte Carlo. Vous arrive-t-il de discuter du conflit qui oppose vos deux pays ?
S.S: Oui, nous en parlons énormément entre nous. Et même si nous nous disputons souvent, j’aime à penser qu’il y a toujours un terrain d’entente dans nos discussions.

T.T: Quel est son point de vue sur la question ?
S.S: Je vous laisse le lui demander… (sourire)

T.T: A l’initiative de votre compatriote Alexandr Dolgopolov, une vidéo de soutien à l’Ukraine a récemment circulé sur internet. On y voit notamment Murray, Nadal ou Djokovic affirmer leur soutien au pays mais pas Federer, seul grand absent de la séquence. Vous avez déclaré un jour que Roger était trop neutre en tant que président du conseil des joueurs. En est-il de même pour les questions privées?
S.S: Je ne fais partie du conseil des joueurs que depuis deux ans mais tout ce que je peux dire c’est que pendant ces deux ans, Roger a réussi à me faire complètement changer d’avis sur lui.  

T.T: Vous avez déclaré à Sports Illustrated que la Crimée est un territoire ukrainien. Quelles ont été vos premières pensées lorsque que vous avez eu connaissance des résultats du référendum* ?
S.S: Les gens savaient à quoi s’attendre, quel pays civilisé aurait refusé un référendum ? Mais il est quand même difficile de voter en son âme et conscience quand les rues du pays sont bondées d’hommes armés. La question la plus importante reste celle du comptage des voies, tout ça n’est pas très clair…

T.T: Vous êtes très présent sur Twitter, d’autant plus depuis que la crise entre les deux pays a commencé. Est-ce un moyen pour vous de témoigner de votre soutien à votre pays ?
S.S: Un des moyens oui mais cela reste avant tout un moyen de m’exprimer et de donner ma position et mon point de vue.

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T.T: De part vos responsabilités au sein du conseil des joueurs, avez-vous déjà soumis l’idée d’organiser quelque chose avec les joueurs pour soutenir votre pays ?
S.S.: Pas pour le moment. Nous jouerons les barrages de Coupe Davis en septembre prochain et c’est déjà une très grande satisfaction de pouvoir jouer cette rencontre à domicile.

T.T: Pour protester contre la violence dirigée contre les manifestants, les athlètes ukrainiens n’ont pas hésité à quitter les Jeux Olympiques d’Hiver de Sochi en début d’année. Ne pensez-vous pas qu’un rassemblement de tous les athlètes ukrainiens pourrait changer quelque chose?
S.S: Tous les sportifs qui se trouvaient à Sochi soutenaient la cause des manifestants à Maïdan (place qui aurait connu, le 21 novembre 2013, le plus grand rassemblement pro-européen de l’histoire). Je crois simplement que la Russie a montré son véritable visage au cours des derniers mois et que le monde entier devrait s’en méfier.

T.T: Comment imaginez-vous la fin de ce chapitre de l’Histoire de votre pays ?
S.S: L’Ukraine veut vivre mieux. En tant que citoyen ukrainien je voudrais que mon pays ne ressemble en rien à la Russie. Je souhaiterais un pays moral où le gouvernement fait preuve d’intégrité vis à vis des citoyens et où la loi est la même pour tous.

La fin est encore loin, c’est juste le commencement d’un long cheminement pour l’Ukraine mais j’espère que dans vingt ans, nous pourrons regarder fièrement derrière nous et être reconnaissants aux personnes qui auront tout mis en œuvre pour servir la cause de notre pays.

T.T: Si vous aviez l’opportunité de rencontrer Vladimir Poutine, que lui diriez-vous ?
S.S: Je ne voudrais en aucun cas que cela arrive car là, j’aurais de sérieux doutes en ce qui concerne l’honnêteté de mon comportement.

* Après la fuite de l’ancien Président Ukrainien, Viktor Ianoukovytch, qui n’a pas su calmer les ardeurs du mouvement contestataire suite au refus de signer un accord d’association avec l’Union européenne, la situation s’est rapidement envenimée dans le pays face à l’arrivée de l’armée russe en Crimée. Pour tenter d’apaiser les tensions, un référendum a été mis en place. Le 16 mars 2014, le résultat tombe: 95% ont choisi de se rallier à la Russie. Aujourd’hui, la République de Crimée et la ville de Sébastopol sont officiellement devenus deux sujets fédéraux de la Fédération de Russie.

Propos recueillis par Charlotte Ezdra

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